Intelligence Artificielle

Les MCP vont-ils faire disparaître les logiciels ?

11/11/2025
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L'aube d'une nouvelle ère : quand l'IA devient le véritable chef d'orchestre

Imaginez un instant : vous demandez à votre assistant IA d'analyser vos ventes du trimestre, de créer un rapport personnalisé et de l'envoyer à votre équipe. Le tout en une seule phrase. Sans ouvrir de logiciel. Sans copier-coller. Sans jongler entre quinze onglets. Ce scénario, qui relevait de la science-fiction il y a un an, est en train de devenir réalité grâce à une technologie qui pourrait bouleverser notre rapport aux logiciels : le Model Context Protocol, ou MCP.

Depuis novembre 2024, un vent de révolution souffle sur l'univers de l'intelligence artificielle. Et cette fois, ce n'est pas un nouveau modèle plus puissant qui fait trembler l'industrie tech, mais un simple protocole. Un protocole qui pose une question vertigineuse : et si demain, nous n'avions plus besoin d'applications ?

MCP : Le "port USB-C" de l'intelligence artificielle

Pour comprendre ce qui se joue, il faut d'abord saisir ce qu'est le MCP. Lancé par Anthropic (les créateurs de Claude) fin 2024, le Model Context Protocol est un standard ouvert qui permet aux intelligences artificielles de se connecter directement à n'importe quelle source de données ou outil logiciel.

L'analogie la plus parlante ? Le MCP est au monde de l'IA ce que l'USB-C est au monde électronique : un connecteur universel. Plus besoin de créer une intégration spécifique pour chaque combinaison IA/logiciel. Vous branchez une fois, et ça fonctionne.

Concrètement, le MCP établit une architecture client-serveur où :

  • Les assistants IA (Claude, ChatGPT, Gemini) agissent comme clients
  • Les logiciels et services exposent leurs fonctionnalités via des serveurs MCP
  • La communication s'effectue selon un protocole standardisé en JSON-RPC 2.0

Mais le véritable coup de génie du MCP réside dans sa découverte dynamique : l'IA peut demander à tout moment "qu'est-ce que tu sais faire ?" et le serveur lui répond instantanément avec la liste de ses capacités. Fini les mises à jour manuelles de code à chaque nouvel outil !

L'adoption fulgurante qui change la donne

Ce qui aurait pu rester une initiative isolée d'Anthropic a pris une tournure historique en quelques mois. En mars 2025, c'est le séisme : OpenAI annonce l'adoption du MCP pour ChatGPT et son SDK d'agents. Le PDG Sam Altman tweete simplement : "Les gens adorent le MCP et nous sommes ravis d'ajouter le support dans tous nos produits."

En septembre 2025, OpenAI va encore plus loin en lançant le "Developer Mode" pour ChatGPT, permettant des actions en lecture ET écriture via MCP. Ce n'est plus seulement consulter des données, c'est modifier des systèmes entiers depuis une simple conversation.

Mais OpenAI n'est pas seul. Google DeepMind, Microsoft (via Copilot et GitHub Copilot), ainsi que des dizaines de plateformes (Replit, Zed, Codeium, Sourcegraph) ont tous rejoint le mouvement. Des entreprises comme Block, Apollo, Cloudflare, MongoDB et PayPal ont créé leurs serveurs MCP.

Cette adoption massive et rapide en moins d'un an est sans précédent. Nous assistons à l'émergence d'un consensus industriel comparable à celui qui a consacré TCP/IP pour le réseau ou HTTP pour le web.

Le logiciel tel qu'on le connaît : déjà obsolète ?

C'est là que la question devient vertigineuse. Si une IA peut accéder à toutes vos données, utiliser tous vos outils et enchaîner des actions complexes par simple commande vocale ou textuelle... avons-nous encore besoin d'interfaces graphiques ?

L'agent devient l'interface

Le futur qui se dessine ressemble à ceci : vous n'ouvrirez plus d'applications. Vous parlerez à votre intention.

Plutôt que de :

  1. Ouvrir Salesforce
  2. Chercher un client
  3. Modifier ses informations
  4. Ouvrir Slack
  5. Notifier votre équipe
  6. Ouvrir votre calendrier
  7. Créer un rappel

Vous direz simplement : "Mets à jour le statut du client XYZ en 'Qualified', informe l'équipe et programme un rappel dans 3 jours."

L'IA se connectera en temps réel via MCP à votre CRM, votre messagerie et votre agenda, exécutera toutes ces tâches et vous confirmera que c'est fait. Sans que vous n'ouvriez une seule fenêtre.

Des exemples concrets qui changent déjà la donne

Le MCP n'est pas théorique. Il transforme déjà des secteurs entiers :

Dans le développement logiciel : GitHub Copilot utilise MCP pour accéder au contexte complet d'un projet, analyser les dépendances, générer du code cohérent et même créer des pull requests automatiquement. Le développeur supervise, mais ne code plus ligne par ligne.

Dans l'entreprise pharmaceutique : Un chercheur demande : "Quels composés similaires à la molécule X ont montré des effets prometteurs contre les maladies auto-immunes ?" L'IA analyse instantanément des milliers de brevets, rapports de recherche et essais cliniques, puis présente une synthèse structurée avec références précises. Sans jamais ouvrir un logiciel de recherche documentaire.

Dans la création 3D : Le projet Blender-MCP permet de générer ou modifier des scènes 3D complexes par simple description textuelle. "Crée une salle de réunion moderne avec 8 chaises" suffit à générer un environnement complet.

Dans le support technique : Un chatbot se connecte simultanément à la documentation produit, aux forums utilisateurs, à la base de tickets de support et au système de gestion des versions. Résultat : des réponses contextuelles précises en temps réel, sans intervention humaine.

Mais alors, la fin des logiciels ?

Pas si vite. La réalité est plus nuancée qu'un titre sensationnaliste pourrait le laisser croire.

MCP ne remplace pas, il sublime

Le MCP n'est pas un concurrent des logiciels, c'est une surcouche d'interaction. Les logiciels continuent d'exister en arrière-plan, avec leur logique métier, leurs bases de données, leurs algorithmes. Ce qui change, c'est la manière dont nous interagissons avec eux.

Les API REST ne disparaissent pas : MCP s'appuie sur elles. Les CRM, ERP et autres outils métiers ne s'évaporent pas non plus : ils exposent simplement leurs fonctionnalités via un serveur MCP.

C'est exactement ce qui s'est passé en 2010 avec l'explosion des API. Les services web existaient avant, mais les API REST les ont rendus interconnectables à grande échelle. Le MCP joue le même rôle pour l'ère des intelligences artificielles.

La transformation des interfaces, pas leur disparition

Ce qui va probablement disparaître (ou devenir secondaire), ce sont les interfaces graphiques traditionnelles :

  • Moins de menus déroulants
  • Moins de boutons à cliquer
  • Moins de formulaires à remplir
  • Moins de navigation entre écrans

À la place, émergera une nouvelle génération de logiciels pensés "agent-first" :

  • Des interfaces conversationnelles naturelles
  • Des systèmes qui comprennent l'intention plutôt que la procédure
  • Des architectures où l'IA est le chef d'orchestre, pas un simple assistant

Les équipes produit se réinventent

Les conséquences pour les éditeurs de logiciels sont profondes. Les équipes UX/UI ne disparaîtront pas, mais leur mission évoluera : concevoir une "grammaire d'usage fluide" pour les agents IA, plutôt que des écrans.

Les développeurs ne coderont plus des interfaces, mais des "capacités actionables" : des actions que l'IA peut découvrir, comprendre et orchestrer.

Un logiciel sans serveur MCP en 2026-2027 ? Ce sera comme un site web sans API en 2015 : techniquement possible, mais stratégiquement suicidaire.

Les défis à surmonter

Cette révolution n'est pas sans obstacles. Plusieurs défis majeurs se dressent sur la route du MCP.

La sécurité : un talon d'Achille

En juillet 2025, un rapport de la société de sécurité Backslash Security a révélé des vulnérabilités critiques dans de nombreux serveurs MCP publics :

  • Failles d'injection OS permettant la prise de contrôle totale de machines
  • Expositions dangereuses de serveurs sur les réseaux locaux
  • Risques d'exfiltration de données sensibles

OpenAI lui-même qualifie le Developer Mode avec MCP de "puissant mais dangereux", avertissant explicitement sur les risques d'injection de prompts malveillants et de destruction de données.

La sécurité du MCP doit mûrir avant un déploiement massif en entreprise.

La gouvernance des données

Qui contrôle ce que l'IA peut faire ? Comment auditer les actions effectuées automatiquement ? Comment garantir la conformité RGPD quand une IA accède à des dizaines de systèmes ?

Les mécanismes de permissions existent dans MCP, mais leur implémentation et leur supervision restent complexes, surtout dans les grandes organisations.

L'effet de dépendance

Si tout passe par des agents IA connectés via MCP, que se passe-t-il en cas de panne ? De biais algorithmiques ? De modèles qui hallucinent ?

La dépendance à l'égard de l'IA comme unique point d'entrée vers nos outils numériques comporte des risques systémiques qu'il faudra gérer.

Le verdict : transformation plutôt que disparition

Alors, les logiciels vont-ils disparaître ? La réponse est à la fois non et oui.

Non, les logiciels ne disparaissent pas. Leur logique métier, leurs capacités de traitement, leur stockage de données resteront essentiels. On ne "remplace" pas un ERP par une IA qui discute.

Oui, la forme traditionnelle du logiciel - l'application avec son interface graphique, ses menus et ses clics - est probablement condamnée à devenir minoritaire. L'IA conversationnelle connectée via MCP deviendra l'interface privilégiée pour une part croissante de nos interactions numériques.

Ce à quoi nous assistons, c'est à une métamorphose :

  • Les logiciels deviennent des services invisibles
  • Les interfaces graphiques se transforment en interfaces conversationnelles
  • Les utilisateurs passent de la manipulation à l'intention

Les enjeux pour les entreprises et les professionnels

Pour les éditeurs de logiciels

Le message est clair : adapter ou périr. Les éditeurs doivent :

  1. Créer des serveurs MCP pour exposer leurs fonctionnalités
  2. Repenser leur architecture en mode "agent-first"
  3. Former leurs équipes aux nouveaux paradigmes d'interaction
  4. Investir massivement dans la sécurité et la gouvernance

Ceux qui agiront maintenant capteront l'attention des développeurs et bâtiront leur croissance sur cette interopérabilité. Exactement comme en 2010 avec les API REST.

Pour les DSI et directions techniques

C'est l'opportunité de :

  • Réduire drastiquement les coûts d'intégration entre systèmes
  • Accélérer les cycles de projets IA
  • Standardiser l'usage des outils par les agents
  • Automatiser des workflows complexes auparavant impossibles

Mais cela exige aussi :

  • D'identifier quelles API et outils exposer via MCP
  • De standardiser les actions à travers des schémas MCP cohérents
  • D'héberger des serveurs MCP sécurisés
  • De former les équipes à cette nouvelle architecture

Pour les utilisateurs finaux

La promesse est alléchante : plus de productivité, moins de friction, plus de confort. Mais elle implique aussi :

  • D'apprendre à communiquer efficacement avec les agents IA
  • D'accepter de déléguer le contrôle à des systèmes automatisés
  • De rester vigilant sur la sécurité et la confidentialité des données

2025-2027 : La fenêtre critique

Nous sommes à un moment charnière. Le MCP n'a qu'un an d'existence, mais son adoption par tous les géants de la tech (OpenAI, Google, Microsoft) en fait déjà un standard de facto en devenir.

Les 2-3 prochaines années seront décisives. D'ici 2027, il pourrait être impensable de lancer un nouveau service professionnel sans connecteur MCP, tout comme aujourd'hui aucune application ne se conçoit sans API web.

Un écosystème riche se construit à vitesse grand V : des milliers de serveurs MCP open source émergent déjà pour à peu près tous les outils imaginables. Un véritable "App Store" MCP est en train de naître, permettant aux agents IA de "télécharger" des compétences à la volée.

En conclusion : préparez-vous au monde "agent-native"

Les logiciels ne disparaissent pas, mais notre rapport à eux est en train de basculer radicalement. Dans quelques années, la question "tu as installé quelle application pour faire ça ?" pourrait sembler aussi désuète que "tu as téléchargé quel CD-ROM ?".

Le monde "agent-native" arrive, porté par le MCP. Un monde où :

  • L'intelligence artificielle orchestre nos outils
  • Les intentions remplacent les procédures
  • Les interfaces conversationnelles dominent les interfaces graphiques
  • Les systèmes deviennent collaboratifs et interconnectés par défaut

Pour les entreprises, le choix est simple : s'adapter maintenant ou se retrouver relégués dans un monde où les apps non pilotables deviennent secondaires.

Pour les professionnels de la tech, c'est l'occasion de participer à la construction d'un nouvel écosystème, comparable à la révolution des API et du cloud computing.

Et pour nous tous, utilisateurs, c'est peut-être la promesse d'un avenir numérique moins fragmenté, plus fluide, plus intelligent... à condition de maîtriser les risques qui l'accompagnent.

Le MCP ne fera pas disparaître les logiciels. Il transformera ce que signifie "utiliser un logiciel". Et c'est peut-être encore plus révolutionnaire.

Pauline Leroy

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